colloque international de l'ENSA Paris Val de Seine / 11-13 décembre 2014
Thème : Revendications et contestations patrimoniales : perspectives européennes
Site : https://www.ipapic.eu/services/appels-a-communication/revendications-et-contestations.html
Communication : la patrimonialité ds habitants du quartier de la Mouraria (Lisbonne) : un arrangement entre acteurs publics.
Texte d'appel : Partant d’une définition inclusive du patrimoine – matériel, ainsi qu’immatériel (UNESCO, 1972,
2003) – ce colloque propose une réflexion sur ce qui fait patrimoine pour les acteurs dans les processus de patrimonialisation. Dans les conventions internationales, le patrimoine est doté d’un rôle social stratégique dans la création de communautés durables et de cadres de vie. En effet, les conventions européennes concernant le patrimoine culturel (Paris, 1954 ; Granada, 1985 ; Valeta,
1992 ; Faro, 2005) ont intégré le développement spatial durable dans leurs recommandations en termes de protection, conservation et mise en valeur. Dans le contexte européen de promotion de la décentralisation et de la participation des communautés à la valorisation et à la gestion de leur patrimoine, ce dernier devient enjeu et outil de la transformation des territoires. La valeur patrimoniale, dans l’optique de la convention de Faro (2005), n’est, de même, plus définie uniquement par les spécialistes, mais de manière collective par des groupes qui reconnaissent leur héritage comme source de valeur identitaire et de mémoire.
Ce colloque vise à explorer les mises en concurrence et les tensions entre mémoires officielles et légitimes et mémoires en quête de légitimation, entre mémoires historiques savantes et mémoires collectives vécues1. Se basant sur le caractère performatif du patrimoine, il s’agira d’explorer l’objet patrimoine, non en tant que tel, mais par le biais de ses acteurs, comme problème soumis à l’action publique et à l’action collective, et donc, comme résultat d’un processus social et politique. C’est donc plus sur le processus de patrimonialisation que sur le patrimoine en lui-même que le propos portera.
Recentrer le regard sur le patrimoine en tant que sujet de débat, de polémique, de contestation voire de conflit, et donc d’échanges qui le font exister, permettra de réinterroger les valeurs patrimoniales au-delà des critères normatifs, par le prisme des groupes et des individus qui participent à sa production et à ses usages. Cela permettra de saisir la pluralité de significations, de valeurs et d’enjeux dont le patrimoine est investi par ceux qui le revendiquent, tout en prenant en compte ses opposants. Il s’agira aussi de poser la patrimonialisation comme enjeu politique, en s’interrogeant sur les conflits qu’elle porte, sur ce qui s’y oppose, et sur la manière dont elle se redéfinie – et comment les mobilisations changent de contenu et de modes opératoires - à l’échelle locale et internationale à l’heure des migrations transnationales et du développement des mass-médias et des communications.
Quels sont donc les enjeux des conflits : entre visibilisation et invisibilisation de populations, qualification ou disqualification d’espaces, ajustements et révisions de récits historiques et de paradigmes identitaires… ? En effet, la question de la reconnaissance2, et de la prise en compte de populations exclues des récits historiques dominants qui les invisibilisent, ne questionnent pas uniquement les définitions normatives – nationales et internationales – du patrimoine, mais elles vont jusqu’à remettre en cause certaines constructions historiques et certains codes de représentations fondateurs des État-nations. Pour cette raison, le colloque vise à ouvrir le débat au-delà des spécialistes du patrimoine et à interpeller la communauté scientifique sur l’évolution épistémologique du patrimoine dans ce contexte de décentralisation et de participation élargie à sa production. Il vise à cerner des tendances à l’œuvre dans la production et les dynamiques des espaces urbains et des territoires auxquelles contribue la patrimonialisation institutionnelle, et surtout à cerner de nouvelles manières de définir le patrimoine, de construire des identités ou (re)constituer des mémoires. Il vise également à appréhender les constructions de sens qui mobilisent de nouvelles populations et de nouveaux entrepreneurs de mémoire et de patrimoine, ainsi que les manières dont les espaces et les lieux sont donnés à voir suite à ces interventions.
La réflexion sur l’élargissement du champ des acteurs impliqués est également indissociable d’une réflexion sur l’articulation des échelles du patrimoine, entre les définitions normatives supranationales, et les négociations et adaptations dans des contextes nationaux et locaux. Cette approche par les échelles du patrimoine permet d’appréhender les réseaux d’acteurs et leurs rapports aux institutions et aux politiques publiques, entre les enjeux plus locaux et plus globaux. Il s’agira notamment de mettre en lumière ce que les injonctions, les politiques et les programmes nationaux et européens faisant appel au patrimoine (pour promouvoir la diversité culturelle, la participation de la société civile, pour lutter contre les stéréotypes et la discrimination…) engendrent au niveau local ou trans-local en terme de création de réseaux d’acteurs émergents, de nouvelles visions et pratiques du patrimoine.
Faisant suite à un cycle de rencontres tenues en France et à l’étranger depuis trois ans et ayant trait à la
France, la Roumanie et la Turquie3, ce colloque entend s’inscrire dans une perspective comparative plus large à l’échelle de l’Europe et de ses frontières. Cinq axes thématiques seront privilégiés, avec, comme fil rouge, l’étude des revendications et contradictions liés au processus de patrimonialisation.
Conceptions patrimoniales et pluralisme (acteurs, sens et pratiques)
Quels sont les conflits, les décalages, les évolutions, mais aussi les influences entre les différents acteurs en présence, postulant que ceux-ci peuvent être portés par des conceptions patrimoniales divergentes, voire parfois contraires ? Ces conceptions différenciées pouvant être successives ou bien simultanées, il s’agira, ici, d’appréhender la complexité du patrimoine en tant que monde social, en privilégiant une entrée par les acteurs, le sens qu’ils confèrent au patrimoine, à leurs imaginaires, pratiques et actions, et ce à différentes échelles. Une attention particulière sera portée aux interactions, entre acteurs institutionnels du patrimoine et acteurs ordinaires. Il ne s’agira pas de poser ces deux catégories de façon dichotomique et monolithique mais : de saisir les imbrications et distorsions entre normes internationales et constructions locales des institutions ; de voir les porosités et de s’interroger sur l’intégration d’une pluralité d’acteurs et de conceptions dans les actions de patrimonialisation, de quelle façon et avec quelles limites ; d’interroger les légitimités des individus et des groupes sociaux, notamment des minorités. L’éventuelle reconnaissance du patrimoine de ces dernières induit-elle pour autant un partage du sens ? Et, qui sont les passeurs entre ces différents acteurs ? A ce titre, les acteurs émergents, leur rôle en tant qu’intermédiaires, la façon dont ils diffusent aussi leurs propres représentations patrimoniales, seront une catégorie d’analyse porteuse. Au-delà, on s’attachera aussi à voir comment ils peuvent être acteurs d’une patrimonialisation alternative, aux marges de l’institution patrimoniale.
Droit à la ville et processus de patrimonialisation
Le patrimoine comme symbole de l’intérêt général soumis à l’action collective pose problème, pouvant aviver les tensions autant qu’être instrumentalisé à des fins mémorielles « contestables », ou autres que mémorielles. Il peut également facilement devenir le support de luttes pour l’appropriation de l’espace, que l’on peut saisir à partir de la notion de « Droit à la ville » formulée par Henri Lefebvre dans les années 19604. Questionner la patrimonialisation à partir du « Droit à la ville » revient, ainsi, à la poser en termes politiques, sous l’angle des conflits et des antagonismes pouvant exister entre groupes dominés et groupes dominants. Ceci revient également à la poser en termes d’acteurs tout comme de construction territoriale : quels sont les intérêts des acteurs en jeu et quelles sont leurs motivations, au-delà d’un prétendu « consensus » ? Ceci pose la question des usages sociaux du patrimoine, mais aussi de son usage dans les politiques touchant le cadre de vie de populations plus ou moins légitimées. Parler de droit à la patrimonialisation revient également à questionner la participation et l’information, mais aussi l’accès au patrimoine. Quelle est la place effective dévolue à la participation dans les processus de mise en patrimoine ? Enfin, si le droit à la ville, dans son acception première est également un droit à la centralité urbaine, à l’appropriation de ses symboles et de ses fonctions, qu’en est-il des populations et des groupes occupant un territoire ciblé par un processus de patrimonialisation aboutissant à des reconfigurations urbaines et de peuplement ? En somme, il s’agira dans cet axe, de questionner, à travers ce thème, le patrimoine en tant qu’œuvre collective, appropriation et « valeur d’usage », de manière à mettre en débat un droit au patrimoine différencié mais encore à conquérir.
« Empêchements » mémoriels et patrimoniaux et leurs acteurs
Face à l’injonction au « devoir de mémoire » et à l’inflation toujours plus grande des objets patrimoniaux, il importe de questionner non seulement ce qui passe dans ces processus, mais surtout « ce qui ne passe pas » pour parler comme H. Rousso5. Cela, au double sens de ce qui ne trouve pas de relais – ne peut se transmettre – et ce qui est encore non audible ou valorisable – ce qui est intransmissible. L’enjeu est, ici, d’examiner les « empêchements » et les manipulations explicites ou implicites dans les étapes du processus patrimonial, non pas les usages mais les mésusages de la mémoire et du patrimoine. Il s’agira, donc, de s’intéresser de manière privilégiée aux dénis, aux obstacles, aux résistances, aux formes d’oublis, aux configurations ambiguës qui révèlent des significations divergentes, des valeurs alternatives, des impensés à la suite des travaux de M. Pollak6.
Nous chercherons à voir comment ils traversent, travaillent, oblitèrent les rapports sociaux au sein d’une même société, voire entre plusieurs contextes. Le regard portera autant sur les degrés et les modes de formalisations que les cadres, les médiations et les prises en charge collectives en renversant la dialectique légitime/illégitime, officiel/souterrain pour se placer du côté des hors-champ, des mémoires émergentes ou/et blessées. Ce faisant, ce sont les conditions mêmes de l’accès au « conservatoire de l’espace »7 et à la sphère publique qui seront mises en avant. Cela, afin de montrer en quoi le patrimoine et les mémoires qui lui sont attachées sont construits par les acteurs impliqués comme des ressources, des opérateurs de valorisation ou de dévalorisation.
Entrée des migrants dans le champ patrimonial et enjeux de territorialité
La construction patrimoniale est généralement basée sur la territorialité, notamment en France où le patrimoine ancré dans le local, basé sur le travail des associations, constitue depuis les années 1980 l’alternative décentralisée au patrimoine national8. Mais comment cette fabrique patrimoniale peut-elle composer avec les mobilités, les migrations, les délocalisations des populations ? En effet, pour les populations vues comme manquant d’attache à cause de leur(s) déplacement(s) anciens ou récents, l’absence d’ancrage territorial sur le temps long pose problème lorsqu’il s’agit d’une construction patrimoniale par la territorialité. Toutefois l’investissement dans des activités patrimoniales constitue souvent une filière d’intégration sociale pour des nouveaux arrivants9, voire une ressource culturelle ou de développement économique local.
Nous proposons ainsi d’interroger le rapport de la patrimonialisation aux territoires dans d’autres contextes européens, ainsi que des pratiques émergentes, en France et ailleurs, qui font entrer dans une construction patrimoniale des « immigrés », des « étrangers », des « déplacés », des individus attachés du point de vue mémoriel ou affectif à plusieurs lieux, voire à un entre-deux, entre plusieurs territoires et plusieurs pays. En prenant comme base de réflexion le caractère performatif du patrimoine, nous proposons d’interroger le rôle des manifestations, dans l’espace public, des expressions immatérielles (représentations, mémoires, pratiques) dans la formulation de revendications patrimoniales, de la part d’acteurs trans-nationaux, trans-locaux, migrants… Nous proposons donc de nous focaliser sur les acteurs de ces évènements, ainsi que sur les enjeux qu’ils formulent en termes de préservation avec une visée patrimoniale, de reconnaissance, etc. L’importance des medias qui contribuent à cette transmission (enregistrements, images, etc.) ainsi que les espaces de ces manifestations (dans les institutions culturelles et muséales ou hors les murs) pourraient contribuer à l’analyse de ces pratiques émergentes.
Enfin comment des manifestations faisant entrer dans le champ patrimonial ces acteurs « déracinés » donnent à voir leurs expériences du mouvement et de la délocalisation et comment donnent-elles à voir l’espace de ces expériences ? Quels rapports et quelles tensions s’instaurent avec les autres images, récits et qualifications identitaires des territoires ? Comment, enfin, les manières dont ces populations se donnent ou sont données à voir contribuent-elles à (ré)questionner les représentations dominantes sur ce qui fait patrimoine et sur le rapport du patrimoine aux territoires ?
Constructions et revendications patrimoniales à l’heure du web 2.0
Cette thématique se propose de questionner les conflits patrimoniaux qui émergent dans notre monde de surinformation, de vitesse et d’hégémonie des réseaux permettant aux groupes sociaux de mobiliser en quelques heures des habitants de cinq continents pour condamner une menace qui pèserait sur un territoire ou une société susceptibles d’être protégés un jour. Quels sont les acteurs en jeu, du local au global ; quelles sont leurs motivations et leurs moyens d’action ; comment arrivent-ils à trouver un langage et des moyens d’action communs au-delà des savoirs, valeurs et pratiques spécifiques à chaque contexte national ; quelle prise en compte et/ou instrumentalisation de ces mobilisations internationales de la part des pouvoirs en place ; et enfin, quelles nouvelles légitimités et compétences pour ces acteurs locaux émergents qui se retrouvent propulsés sur le devant de la scène?
En effet, l’expérience montre que la création patrimoniale se retrouve souvent instrumentalisée, aussi bien dans la construction identitaire - à l’échelle micro mais aussi macro territoriale -, que dans la revendication d’une labélisation garante de durabilité, de rentabilité et d’attractivité, voire dans le combat pour une plus grande justice sociale et équité territoriale. C’est cette instrumentalisation du patrimoine ou des « sites candidats à la patrimonialisation », comme d’ailleurs leurs acteurs et leurs mobiles, qui nous interrogent ici et qu’il faudrait analyser en termes de jeu d’échelles, de savoirs et de pouvoirs, d’hybridation des normes et des valeurs, de montées en compétence. La mise en patrimoine, les constructions de sens et les reconstructions de la mémoire sont-elles plus efficaces grâce à une communication tous azimuts ? Quels sont les risques des constructions patrimoniales de toutes pièces et à toute vitesse grâce aux nouvelles technologies numériques ? Et comment s’empare l’espace public virtuel d’un objet dont les tenants et les aboutissants ne cessent pas d’évoluer entraînant dans ce mouvement espaces et sociétés de plus en plus divers.